Quand les rappeurs lèvent la voix en Guinée – Hip Hop et Société à Conakry par Baudouin Mouanda

Quand les rappeurs lèvent la voix en Guinée – Hip Hop et Société à Conakry par Baudouin Mouanda

Il pleut sur Conakry, le temps est gris, il ne fait pas trop beau pour faire des photos. La proclamation des résultats définitifs du premier tour du scrutin historique Guinéen est connu. Il y a eu 24 candidats en lice pour un fauteuil.

Après cinquante deux ans d’indépendance, pour les jeunes de Conakry, rien ne les rassurent pour les prochaines années à venir. Les hommes d’affaires veulent tous se mêler à une idée, faire de la politique leur proie. J’arrête un taxi bus, direction quartier Matoto, banlieue de Conakry où je dois rencontrer des rappeurs. Sur la pare-brise du taxi, tout est gâté, le chauffeur avec un ton spécial, comme s’il connaissait mon âge: « ne t’inquiète pas mon fils, je te dépose… ». Tout de suite, je comprends. Je sors mon appareil photo, le chauffeur s’étonne de me voir photographier la pauvre vitre détruite. « ça on le voit que chez les blancs » cette fois ci, rétorque t-il mais, maintenant avec une voie grave, « et moi alors… me prendras-tu aussi en photo…! » Malheureusement, juste au moment où je descends, il aperçoit un policier  ramper vers lui, il comprend qu’il n’a pas de temps à perdre… un simple coup de sifflet suffit pour qu’on le voit disparaître de la circulation…le pauvre papa, n’était pas en règle. L’agent routier d’un air nerveux dit : « il a eu la chance de ne pas dépenser sa maigre recette ». L’agent sort un bout de feuille comme s’il pouvait noter l’immatriculation d’une voiture s’évadant dans la fumée. Un piéton commente : « ce n’est pas surprenant, à Conakry chacun sait comment trouver son gagne pain ».

Route de Kaloum, centre ville de Conakry, les taxis bus s'échappe aux contrôle des agents routiers

Route de Kaloum, centre ville de Conakry, les taxis bus s'échappe aux contrôle des agents routiers

Le quartier est animé, dans chaque coin de ruelle des attroupements montrent que les jeunes attendent avec beaucoup d’impatience la date du deuxième tour des présidentielles qui n’est pas encore connue. Pour les jeunes du quartier tout semble être en route malgré les discussions politiques qui pullulent dans les rues….ils ne veulent pas faire de cette élection une affaire ethnique, mais tirer un trait à la dictature en place depuis l’indépendance du pays en 1958.

Master G, 35 ans rappeur, «  mon nom d’artiste…c’est comme ça que tout le monde m’appelle ici ». Assis dans un restaurant près de l’aéroport, à côtoyer les passants, dont il s’inspire en y retrouvant la quasi totalité des maux qui minent la société guinéenne.. ses textes sont ainsi engagés vis à vis des faits sociaux, politiques et économiques de son pays. « J’ai fait la taule. Les hommes en costards m’ont interpellé parce qu’ils  n’aiment pas qu’on leur dise des vérités en public. Ils semblent tout connaître, et moi je ne fais que dire publiquement les problèmes qui agacent notre société. Ils confondent l’administration et les affaires familiales. Comment pouvons nous développer ce pays en mettant un parent à la place qu’il ne mérite pas ?, et ils pensent que  l’homme de rue que je suis ne peut pas éduquer… parce  que, je n’ai pas fait la Sorbonne, des grandes universités,  je ne vaudrais rien, je serais aveugle… alors que ce sont eux les vrai mafieux qui appauvrissent cette terre avec leurs discours merdiques bourrés  de mensonges, comme si c’était la première fois qu’on les entendait».

Master G, dans les rues de Conakry

Master G, dans les rues de Conakry

Dans les avenues, marchés… tout est normal, malgré l’avenir du pays qui inquiète la population comme le suggère Flingo 29ans, rappeur : « Sékou Touré n’a rien fait pour nous, Lansana Conté n’a rien fait, de même que Dadis. Nous, les rappeurs, on ne se fatiguera pas à dénoncer les abus du pouvoir. On espère que le président qui va venir nous aidera à améliorer les infrastructures pour que nous puissions développer notre pays. On a des problèmes avec  l’électricité, l’eau n’en parlons même pas alors que Conakry est une presqu’île ».

Flingo 27, rappeur du quartier Matoto

Flingo 27, rappeur du quartier Matoto

Les affiches des candidats au premier tour sont encore visibles les longs des murs, boutiques, véhicules… pour les candidats « poids lourds» ce sont souvent de grands panneaux publicitaires, chacun avec un slogan « voté pour… je suis la… je ferai ceci et cela…». Magesty, est lui rappeur, slameur et médecin. Dans un coin, isolé du petit bar du quartier Simbaya, tout de suite on voit que c’est là qu’il vient se reposer, « ça fait huit heure que je bois de la bière » dit-il. Dans sa ruelle, des femmes et des hommes font la queue autour d’un robinet. « Tu vois, tous ces candidats, c’est sur ça qu’ils s’appuient pour faire de la politique, nos problèmes leur business. Ecoute leurs discours rien de nouveau juste les mêmes blabla… moi j’utilise ma plume pour dire STOP de façon que chaque guinée se retrouve». Dans sa chambre, des affiches de ses idoles, Bob Marley, Sankara… sans oublier l’effigie de la sainte vierge Marie offerte par son frère qu’il aime présenter aux amis « c’est ici que j’écris la plupart de mes textes, à cause des coupures d’électricité, cela ne m’empêche pas d’écrire à n’importe quel endroit où je me trouve ».

Magesty dans sa chambre du quartier Simbaya

Magesty dans sa chambre du quartier Simbaya

La ville est aussi connue par ses monuments historiques qui représentent chacun un événement. La statue de l’esclave enchainé du Pont de la Liberté ne laisse pas indifférents les rappeurs pour méditer sur leur histoire. Phaduba, l’un de pionnier du mouvement hip hop guinéen: « nous sommes les témoins de notre société, ce qu’on raconte, c’est ce qu’on vit, nous attendons toujours un gouvernement qui viendra améliorer l’agriculture afin que chaque guinéen mange correctement ».

Phaduma, devant la statue de l'esclave enchainé, lors des élections présidentielle en Guinée Conakry

Phaduma, devant la statue de l'esclave enchainé, lors des élections présidentielle en Guinée Conakry

Baudouin Mouanda